On est très près d’une autre vie. Aucun doute là-dessus. Une vie toute rose, peinte en neuf. On la touche presque du bout des doigts. Les pensées y volent déjà – et l’air y est ample. Le cœur y bat déjà – comme détaché en éclaireur. Et pourtant rien n’arrive. C’est qu’on est empêché. On croit que c’est quelque chose qui empêche. On cherche. On n’a aucune chance de trouver parce que ce n’est pas une chose qui empêche, c’est soi-même : on tient encore à cette vie morte, que l’on n’aime plus. On tient encore à trop de choses. Comment faire. Comment se quitter soi-même – ce qui serait la seule manière de tout quitter. Ce qu’il faudrait c’est un ange. Un vrai avec de la douceur, avec de la violence. Avec des façons dures et invisibles. Quelqu’un qui vous enlève de tout sans aussitôt vous attacher à lui.
Christian Bobin – La femme à venir – 1990